Dans Snow Therapy[1], un film réalisé et écrit par Ruben Östlund en 2014, une famille suédoise, Tomas, Ebba et leurs deux enfants, sont aux sports d’hiver dans une station des Alpes françaises. Ce séjour est censé permettre à la famille de se retrouver, le père étant souvent absent pour son travail. Une avalanche survient – réel que R. Östlund figure par un écran envahi de blanc et des détonations.
Lors de l’avalanche, Ebba ne peut fuir avec ses enfants, elle reste avec eux. Tomas, quant à lui, s’empare de son smartphone et se sauve. De la fuite dans le travail à la fuite devant l’avalanche, il n’est pas là où on l’attend. Selon Freud, la glaciation terrestre a produit une « humanité […] universellement anxieuse »[2], ce qu’Éric Laurent traduit en termes d’angoisse du réel : la fonction paternelle étant pour Freud de protéger de cette angoisse du réel[3]. Tomas n’est pas un père freudien.
Ce film se situe à l’ère de la sortie de l’âge du père[4], mise en évidence par Jacques-Alain Miller, cette avalanche faisant entendre « les craquements des conformismes anciens »[5]. Tomas ne peut se proposer en héros. Tourmenté par son symptôme d’impuissance, il sauve sa peau, mais son désir n’est pas là : « je suis victime de mon propre instinct », dit-il. Il ne peut se reconnaître dans ce lâche, et donc il ne peut s’exposer comme le veut sa femme à la démonstration de sa castration. Ebba insiste. Comme il filmait l’avalanche, il a filmé lui-même, à son insu, sa débâcle. Cette trouvaille cinématographique met en scène le retour du refoulé pour lui. Qu’en était-il pour Ebba avant l’avalanche ? Elle se berçait de l’image d’un père qui serait présent et à la hauteur. Mais l’avalanche a fissuré l’image. Si, pour Freud, la fonction du père est de protéger contre l’angoisse du réel, pour Lacan sa fonction est d’é-pater[6]. Tomas n’épate plus sa femme. Acculé à l’aveu, il crie qu’il est déçu de lui-même, de sa lâcheté et de ses mensonges.
Suite à cet aveu, R. Östlund met en scène une restauration des semblants, qui apparaît d’emblée teintée du fiasco qui se profile. La famille va skier. Ebba disparaît dans le brouillard et Tomas va la rechercher laissant les enfants seuls. Il accomplit ainsi, dans un climat d’inquiétude, le sauvetage tant attendu. C’est par cette pantomime qu’il se réapproprie les semblants virils. L’écran blanc de brouillard vient faire écho au souvenir de l’avalanche, mais ce n’est plus une figuration du réel, c’est l’écran de fumée de l’imaginaire, flou, inconsistant.
Les pleurs, les cris, l’aveu n’ont pas suscité un échange de paroles. Dans ce film, ce que propose R. Östlund pour se débrouiller avec le réel, c’est le brouillard : continuer la route sans en savoir davantage, annuler l’instant de voir que l’avalanche avait permis. Le film forme une boucle : au début comme à la fin, Ebba s’accommode de cet homme qui laisse ses enfants seuls dans le brouillard et qu’on prend par erreur pour « le plus bel homme du bar », mais dont la brillance phallique n’est pas convaincante : on peut s’en moquer.
[1] Östlund R., Snow Therapy, film, Suède, France, Coproduction Office, 2014.
[2] Freud S., Vue d’ensemble des névroses de transfert, Paris, Gallimard, 1986, p. 34.
[3] Cf. Laurent É., « Le Nom-du-Père entre réalisme et nominalisme », La Cause freudienne, n°60, juin 2005, p. 136-137.
[4] Cf. Miller J.-A., « Sortir de l’âge du père », Lacan Web Télévision, émission, 20 avril 2013, disponible sur internet : https://www.youtube.com/watch?v=0S020Zoy9XQ.
[5] Miller J.-A., « Sortir de l’âge du père », op.cit.
[6] Lacan J., Le Séminaire, livre XIX, …ou pire, Paris, Seuil, 2011, p. 208.
Image : © Pascale Simonet